Sur votre balcon, les corolles orangées de votre plante grimpante s’épanouissent au soleil. Volubiles, les tiges graciles s’élancent au grès du vent pour s’accrocher, s’enrouler. Deux tuteurs en bambou sont déjà colonisés. Pourtant, un rameau sort du lot et part à l’assaut d’une branche de saule tortueux. Votre plante a envie de s’épanouir et de prendre des libertés. En y regardant de plus près, d’autres tiges s’enroulent dans la grille du garde-corps et louvoient entre les barreaux. Tiens, une autre s’est alliée au pied de tomates. Une autre encore s’est accrochée dans les marguerites jaunes. Pourquoi pas, les marguerites devraient pousser jusqu’à un mètre, votre grimpante suivra.
Ce récit vous semble anecdotique ? Et pourtant, à lui seul, ne symbolise-t-il pas une manière de jardiner qui pourrait être celle de jardiner la ville, jardiner les humains, en laissant la place aux initiatives ?
Jardiner la ville et ses habitants (essai)
Ce récit sur la co-construction montre à quel point ne pas vouloir tout maitriser génère souvent d’heureuses surprises inédites. En tant qu’acteur de la ville, vous êtes le jardinier. En tant qu’habitant ou usager, vous êtes le végétal qui prospère dans ce jardin. Et plutôt que de contraindre et ériger des règles incontournables, ce récit montre comment l’écoute, l’observation, l’attention portée permettent d’assouplir les règles et de créer de généreuses surprises. Oui les règles sont indispensables pour organiser l’urbain, mais savoir écouter ce que les habitants ont à dire pour orchestrer et écrire ces règles est indispensable, dans une démarche de gouvernance frugale et positive.
Mieux penser la ville ensemble
Il nous faut créer une ville multiple et inclusive. A l’image des arbres qui vivent et se soutiennent les uns les autres, à l’image de l’association vitale qui se forme entre des végétaux quasi invisibles, les champignons, et les géants de la forêt, nos compétences complémentaires et multiples doivent s’associer pour enrichir notre approche de la ville.
Ce qui fait la richesse de la ville c’est sa variété. La pluralité et la complémentarité de ses acteurs est garante de la pérennité de cette richesse. Il nous faut mettre en œuvre un travail d’équipe avec les acteurs de la ville et ouvrir la discussion, pour initier le changement de nos modèles urbains. Nous ne pouvons plus dessiner la ville exclusivement entre experts. Ce travail, il faut le faire avec les habitants, les usagers, s’engager dans une démarche de co-production, co-construction, gage de réussite d’un projet.
Concerter, consulter les habitants peut et doit se faire à toutes les échelles, toutes les temporalités (avant, pendant, après). Réinventer constamment la façon de dialoguer, les outils de compréhension d’un projet afin de permettre aux habitants de comprendre la ville qui se crée sous leurs yeux et d’en percevoir la temporalité de fabrication, en leur donnant toute leur place.
Valoriser l’expertise habitante pour une gouvernance frugale. Cela suppose d’être capable, en tant que concepteur ou collectivité territoriale, d’écouter, entendre et comprendre les avis et suggestions des habitants, suppose de pouvoir faire évoluer un projet vers des attentes formulées et enfin de rendre compte de ce qui a pu être fait. Travailler avec, sans vouloir camper sur ses positions initiales, savoir faire évoluer un projet sont les conditions d’une gouvernance frugale et inclusive.
Donner plus de place au « laisser-faire » et aux initiatives locales favorise une plus grande appropriation des espaces par leurs usagers, renforce la solidarité autour de la participation citoyenne. Prenons l’exemple des rues végétalisées et des permis de végétalisation. Certes l’esthétique de ces espaces n’est pas toujours au rendez-vous mais pourtant : le végétal remplace la grille d’arbre, l’espace perméable s’agrandit, le trottoir accueille des floraisons et une profusion de plantes vivaces. Les voisins se retrouvent autour de l’arrosoir, échangent des plantes, des conseils, font des commentaires, critiquent, admirent, défendent … et l’on découvre que nos voisins sont plutôt sympathiques. Image d’idylle naïve ? Peut-être pas tant que cela ! Créer du lien social autour d’un projet commun n’est que bénéfice pour la vie ensemble.
Penser le transitoire comme un espace de pensée de la ville, susceptible de nourrir et faire évoluer un projet permet une plus grande maturité et une plus grande richesse de résultat. A Bagneux, dans l’éco quartier Victor Hugo, la ville expérimente pour la future place de la gare du Grand Paris Express, un travail de préfiguration de mobilier avec les habitants. Lors d’ateliers, les habitants sont encouragés à réfléchir à leur façon de s’installer dehors, dans l’espace public. Les architectes et paysagistes de l’agence dessinent et couchent sur le papier ces envies, afin de fabriquer quelques temps plus tard avec les habitants un mobilier test. Le mobilier définitif choisi sera mis en œuvre sur le quartier.
Nous constatons que chaque fois que les citoyens sont concertés, naissent des projets mieux calibrés et plus proches des besoins, qui fonctionnent sur le long terme. Nous pouvons parler d’une culture de la participation, faire avec et pour. Soucieux de s’investir dans les projets, les habitants sont par ailleurs de plus en plus acculturés sur la question urbaine et les inclure dans les projets est un défi qu’il faut relever à chaque instant. C’est la condition d’une ville mieux pensée et pensée pour tous.
Focus écoquartier Victor Hugo, Bagneux
Dans le cadre de l’aménagement de la ZAC Victor Hugo, une phase de concertation, obligatoire dans l’obtention du label Eco quartier, a eu lieu dès 2012 avec les habitants. Soucieux de porter un projet citoyen, environnemental, accessible à toutes et tous, la ville ainsi que l’aménageur SADEV 94 et la maitrise d’œuvre Arte Charpentier ont renouvelé l’exercice lors de plusieurs étapes clés du projet.
Pour plus d’informations : https://www.bagneux92.fr/ville-en-projet/projets-urbains/816-zac-ecoquartier-victor-hugo
Démultiplier les outils de concertation et de co conception
Entre 2016 et 2019, année de la livraison du secteur théâtre, les habitants intéressés par le projet ont pu lister leurs besoins, suivre les travaux et participer à des sessions de chantier participatif.
Cette culture bien rodée de la démocratie participative a permis des innovations dans l’approche opérationnelle de co-construction de la ville. Lors des concertations, différents outils ont étés mis en place en phase avec l’aménageur et la maîtrise d’œuvre : tables rondes, visites, maquettes virtuelles et réelles, plans vierges, présentations, débats…
Outre le sujet des espaces publics, les habitants ont également été impliqués dans les choix urbains. Ainsi un jury a participé à la désignation des lauréats pour les concours de l’école du parc Robespierre ou encore pour un lot de logements du pôle gare.
Assurer l’appropriation du quartier théâtre par les habitants
Lors des différentes cessions de concertation, un groupe de futurs jardiniers s’est notamment créé, groupe préfigurateur de l’association des jardins partagés.
Le travail sur les jardins partagés, destinés à être gérés in fine par les habitants eux-mêmes, a été un maillon important du projet, afin de le rendre appropriable dès la phase de conception de manière à ce que chacun d’entre eux puisse s’y projeter et s’y investir. Le challenge a été de mobiliser les habitants pendant près de 3 ans, alors même que l’espace dans lequel prendraient place les futurs jardins partagés servait de base vie chantier. Finalement, grâce à des plans, des réunions régulières, la création d’une association des jardins, une forte implication, de la volonté mais aussi à la patience des habitants, la mobilisation n’a pas décru pendant ces années. A travers la première phase de concertation, l’objectif opérationnel était de bien cadrer les premiers besoins émis par les citoyens dans leur entièreté : penser pour les enfants, les personnes à mobilité réduite, les aînés, pour les salariés du quartier.
Le temps fort de cette appropriation a été le chantier de co-construction du mobilier des jardins partagés. Ce chantier collectif a été perçu comme une passation du projet de la part de l’équipe conceptrice vers les habitants..
Co concevoir la programmation : les ambitions futures du quartier Rolland/Courbet
En 2019, renforcés par les retours d’expériences positifs, l’aménageur, Arte Charpentier et la ville de Bagneux ont souhaité aller encore plus loin dans cette démarche dans le secteur encore en études Rolland/Courbet.
La concertation a été lancée à l’échelle du projet mais également sur des sujets plus précis, de manière à réaliser des groupes de travail. Une consultation innovante a été lancée permettant la désignation de 5 promoteurs et d’un bailleur social pour un total de 600 logements, sans esquisse. Une phase de co-conception des programmes immobiliers a été réalisée sous forme de workshops sur les thèmes de la programmation des rez-de-chaussée, l’usage transitoire des lots, les façades, la densité… Chaque travail en atelier avec les maîtres d’œuvres a été suivi d’un travail avec les habitants afin de conforter les hypothèses. Le fruit de la concertation a permis d’affiner le programme de chaque projet immobilier et d’échanger ensemble sur la future silhouette du quartier.
Courant 2021, en distanciel dans un premier temps, en utilisant les outils de visioconférence, une nouvelle concertation est engagée pour le quartier gare avec notamment la question du genre dans l’espace public. Une attention toute particulière est également portée sur les usages des différents lieux créés, afin que chaque génération puisse trouver sa place dans la ville. Les ateliers de l’automne 2021, autour de la façon de s’installer dans l’espace public, donneront lieu à un chantier de co-construction de mobilier.
Ainsi, la ville de Bagneux se recompose sur elle-même et se fabrique à travers un processus participatif, avec et par les habitants des quartiers Nord. Les ateliers de concertation réalisés tout le long du projet permettent à chaque fois de révéler avec justesse et finesse les forces et faiblesses du territoire pour les transformer en un projet partagé, solidaire et durable.
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Nathalie Leroy Paysagiste concepteur, Associée
Directrice TerritoireFORMATION
Formation La Forêt-Jardin – École de permaculture du Bec Hellouin (2019)
Paysagiste D.P.L.G. – École Nationale Supérieure du Paysage de Versailles
Diplôme de designer textile – École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris
PUBLICATIONS
Participation à l’ouvrage Les 101 mots du paysage, collectif, édition Archibooks, 2017
CONFÉRENCES
Intervention dans le cadre du Module Ville Durable – ESTP, Ecole Spéciale des Travaux Publics
Colloque sur la préservation des sols, octobre 2019 – CEREMA
Vidéo enregistrée pour le SIMI, sur le lien entre les Cycles du Vivant et la ville – CIBI
Animation d’une formation sur la coproduction de la ville avec les habitants. Depuis février 2020 – CADRE DE VIE
JURY
Le Havre, parc sportif paysager de Graville la Vallée
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