© Evangelos Batagiannis février 2023 // Le début du chantier, protection solaire rudimentaire mais indispensable
Evangelos Batagiannis est architecte au sein d’Arte Charpentier. Depuis de nombreuses années, Evangelos s’intéresse aux formes de l’habitat, du logement collectif et des usages possibles des espaces habités. Cette recherche architecturale et son envie de partage d’expériences ont nourri son projet d’engagement au sein d’une mission humanitaire pour la construction d’un centre périscolaire au Mozambique.
En 2022, il avait participé à une première mission au Malawi. Nous lui laissons la parole pour raconter son expérience.
L’association «Fraternidade Sem Fronteiras» a déjà construit des centres d’accueil périscolaire au Mozambique. Chaque centre est constitué d’un ensemble de constructions légères organisées en cercle autour d’une salle commune centrale. Réfectoire, cuisine, salles de classes, entrepôts, toilettes… reprennent la même architecture avec une toiture en structure bois et finition extérieure en paille très caractéristique, le tout sur une dalle béton. Les salles de classes sont ouvertes sur les côtés mais abrités des pluies.
Au village de Barragem, le chantier du nouveau centre périscolaire se fait conjointement par les deux associations. La nouveauté est que nous construisons des murs latéraux de classes afin de mieux protéger les enfants de l’exposition au soleil, la pluie et le vent, ils seront d’ailleurs réalisés en terre crue pour des raisons d’économie.
En route vers le chantier
Le chantier se situant à 30 minutes en camion par la seule route goudronnée de la région, il nous a fallu faire le chemin en compagnie des ouvriers tous les matins dans une petite camionnette. Parfois nous devions accompagner les enfants du village à leur école à bord de cette même camionnette.
Tous les matins nous partions à 7h pour nous rendre au chantier. La chaleur était accablante durant la journée, et le taux d’humidité très important. Au bout du village de Barragem, à côté de la rivière Limpopo, le nouveau projet comprenait huit constructions et se déroulait sur un terrain de 2 hectares. Trois missions «Coup de Pouce Humanitaire» doivent se succéder pour construire les deux premiers bâtiments, la cuisine et le réfectoire. Le centre pourra accueillir 1000 enfants et leur servir des repas.
L’ouverture du chantier a été précédée par une cérémonie d’offrande du terrain à l’association. Ce rite de bénédiction a pour but de demander pardon à la nature pour l’utilisation du sol lors de la construction d’un bâtiment. C’est grâce aux sages du village (les plus âgés) qui ont donné leur permission que le lancement du projet a pu être initié. Finalement, cela s’apparente presque à la phase d’obtention du permis de construire !
Sur le chantier, nous sommes 14 volontaires et 15 ouvriers. La tâche semble immense par la grandeur du site et l’outillage rudimentaire dont nous disposons (brouettes, pelles, pioches, machettes et bêches). Plusieurs actions qui seraient automatisées dans un chantier en Europe, ne le sont pas ici. Rien n’est précis, rien n’est mécanique, rien n’est automatique. Le chantier manque d’ailleurs d’anticipation ce qui se répercute sur la sécurité de celui-ci.
© Philippe Thouvenin et Evangelos Batagiannis février 2023 // La camionnette au départ vers le chantier avec l’équipe et un trou béant non protégée au chantier
Les différentes tâches
Nous avons entrepris une construction hybride, de type «écoconstruction». Nous avons coulé du béton mais surtout beaucoup travaillé la terre crue. Voici quelques tâches que nous avons réalisées :
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murs en briques et enduit en terre crue
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four de la cuisine en terre crue
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soubassement en parpaings
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dalle haute des sanitaires en béton pour poser le réservoir d’eau
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murs en parpaings pour le local stockage
Pendant ce chantier j’ai pu travailler beaucoup avec João, un ouvrier local qui travaillait sur plusieurs postes. Nous échangions en juxtaposant des mots d’anglais et de portugais, ce qui nous a permis de nous comprendre (tout du moins, la plupart du temps).
© Philippe Thouvenin, Xuemei Shao et Evangelos Batagiannis février 2023 // Tâches différentes durant ce chantier hybride
Le chantier en terre crue : de la boue à la construction
Les ingrédients pour une recette réussie
Plus précisément, pour fabriquer des briques en terre crue nous avons besoin de 3 ingrédients en quantité suffisante.
2 brouettes de terre + 2 brouettes de sable + 1 baril d’eau = des briques.
© Evangelos Batagiannis et Xuemei Shao février 2023 // «Récolte» de la matière première pour la fabrication de briques
Terre + Sable
Nous récupérons la terre extraite des fondations des futurs bâtiments. Nous collectons aussi le sable extrait pendant le creusement de la future fosse septique de l’école.
Paille
La paille est un ingrédient important pour la fabrication de l’enduit. Nous la trouvons rapidement au champ autour du chantier et nous la traitons en la découpant et la laissant sécher au soleil.
Eau
L’eau venait dans un premier temps du fleuve Limpopo. Le petit camion partait 2 fois par jour pour remplir les bidons et les barils en entraînant l’arrêt du chantier pendant ce temps. La camionnette s’arrêtait dans l’eau noire de la rivière et les ouvriers remplissaient les bidons. Je m’y suis également rendu à quelques reprises pour apporter mon aide. C’était aussi l’occasion de créer des liens avec les ouvriers. Mais ces derniers, étaient formels, ils refusaient qu’on entre dans l’eau.
Plus tard, j’ai compris pourquoi…en me rendant compte de la dangerosité de la faune vivant dans ces eaux. João m’a montré un énorme poisson qui n’était qu’à quelques centimètres de moi, où lorsque j’ai vu enfin le panneau prévenant de la présence des crocodiles dans le fleuve.
© Evangelos Batagiannis et Xuemei Shao février 2023 // Le périlleux prélèvement de l’eau de la rivière Limpopo dont le nom signifie « fleuve des crocodiles »
Fabrication des briques et d’enduit, la recette : “n’aie pas peur de te lancer dans la boue”
Tous les ingrédients réunis, la fabrication de briques peut commencer. L’objectif est de fabriquer d’abord la boue, la pâte qui formera ensuite la brique des dimensions : 31x19x13cm.
La fabrication se déroulait au début dans les petites fosses façonnées par l’équipe qui nous a précédée. Avec des moyens rudimentaires, nous transportions les ingrédients, puis les versions dans les puits, ensuite nous malaxions le tout avec nos pieds en creusant davantage. Les mouvements devaient être rapides et énergiques la cadence était semblable à un cours de cardio ! Le grand inconvénient était la chaleur dans les fosses qui rendait ce travail insupportable.
© Philippe Thouvenin, Xuemei Shao et Evangelos Batagiannis février 2023 // Processus de fabrication de la boue
Nous avons rapidement décidé d’améliorer le processus et les conditions de travail, en construisant un abri solaire en surface, et en nous rapprochant ainsi de l’endroit où on creusait pour la terre et le sable. Ainsi les distances étaient plus courtes et le malaxage plus facile. Ce changement a soulagé l’équipe et a permis de la souder autour d’une idée commune. Tous les membres de l’équipe ont participé au projet, de la conception jusqu’à la réalisation.
© Evangelos Batagiannis et Xuemei Shao février 2023 // Amélioration du processus – fabrication de la boue en surface
Le malaxage s’arrêtait lorsque nous jugions que la boue avait un bon équilibre en eau. La boue pâteuse sortait de la terre et nous la projetions avec force dans les moules à briques en bois. Ces moules, de dimensions 31x19x13cm chacune, donnaient aux briques un poids assez important. Nous tassions et puis démoulions les briques avec des mouvements brusques. Il suffisait alors d’attendre 2-3 jours pour que les briques sèchent.
© Philippe Thouvenin et Xuemei Shao février 2023 // Processus de fabrication de briques
La construction du four
© Evangelos Batagiannis février 2023 // Les étapes de la construction du four de l’école à Barragem
Le four de la cuisine a été construit en briques de terre crue, également. Il possède 5 foyers et permet l’évacuation de la fumée vers l’extérieur (principe qui n’était pas simple à expliquer l’année précédente au Malawi).
Il est principalement constitué de briques. Nous nous sommes servis des marmites, comme mètre étalon, pour déterminer les dimensions des foyers, puis, nous avons ajouté le ferraillage et la terre crue semi-liquide pour lier le tout.
© Evangelos Batagiannis et Xuemei Shao février 2023 // Les étapes de la fabrication de l’enduit
En ce qui concerne les finitions, nous avons fabriqué un enduit à partir de terre en ajoutant davantage d’eau et de paille. La paille qui d’ailleurs piquait pas mal quand nous la malaxions avec la terre, pieds nus…
Donc, en projetant la pâte plus liquide cette fois sur les murs, nous étalions et puis lissions le tout afin d’obtenir une belle finition.
A la fin de notre chantier et avant de le quitter, nous tenions à tester le fonctionnement du four et vérifier la qualité de notre travail. Une fois l’enduit séché, nous avons mis en route un feu afin de préparer un thé. Nous étions contents et fiers de constater que la cuisine était fonctionnelle, et que la fumée se dégageait correctement du conduit de cheminée.
© Evangelos Batagiannis février 2023 // Le four en plein fonctionnement le dernier jour du chantier à Barragem
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Evangelos Batagiannis Architecte
FORMATION
Architecte H.M.O.N.P. – Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris la Villette (2016)
Architecte D.E. – Ecole Nationale Supérieure d’Architecture, Paris Val de Seine (2015)
Licence d’Architecture – école Nationale Supérieure d’Architecture de Paris val de seine (2012)
SEMINAIRE
«Patrimoine ancien, moderne et contemporain» – François Gruson