Evangelos Batagiannis est architecte au sein d’Arte Charpentier. Il se passionne pour l’habitat depuis qu’il a enfin quitté son studio de 20m², du logement collectif aux usages des espaces habités. C’est de cet intérêt et d’un désir de partage d’expériences qu’il a décidé de s’engager dans une mission humanitaire pour la construction de lieux de vie pour des réfugiés au Malawi. Nous lui laissons la parole pour raconter son récit.
Arte Charpentier s’engage auprès d’associations aux missions variées, notamment Architectes solidaires et Rêves de gosse depuis plusieurs années.

La réalité des réfugiés

Avec Peter j’ai pu me rendre au camp de réfugiés à deux reprises: deux visites différentes mais aussi bouleversantes l’une que l’autre. Le contraste saisissant avec UBUNTU, les conditions de vie sont terribles : sols boueux, maisons effondrées, toits éventrés, et les déchets jonchent le sol. La situation était dramatique… Il s’agit d’une ville qui ne l’est pas officiellement. Pas de police, pas de médecins, pas de raccordement à l’eau (sanitaires, eau potable). Les maladies prolifèrent… Cependant, contre toute attente dans ce contexte déplorable, tout le monde était accueillant et souriant. Les enfants nous prenaient dans les bras dès qu’ils nous voyaient dans le camp.

©Evangelos Batagiannis février 2022 // Vue sur une partie du camp de Dzaleka

Nous avons été invité à entrer dans les maisons et écouter plusieurs histoires de familles qui nous ouvraient leurs portes avec le sourire. La plupart des familles sont monoparentales (principalement des mères) avec plusieurs enfants vivant dans des conditions d’une grande précarité. Les maisons ne suivent aucune planification urbaine et des fois elles sont construites au milieu d’un axe de circulation. Tout est piéton, et il est rare de voir un croisement de rues perpendiculaires. Tout est construit en brique de terre crue faisant fondre les maisons du camp dans le paysage coloré par l’argile. Les toitures sont constituées d’un agglomérat de matériaux superposés : des branches, du plastique, du bois, de la tôle, des feuilles…Elles ne me paraissent pas étanches et les façades sont détrempées. L’eau est le fléau du camp pendant cette période, ça se voit… L’humidité remontante fragilise encore davantage encore les maisons dans un état de dégradation avancée.

En rentrant chez une dame, la première chose que nous voyons ce sont ses cinq enfants. Ils sont pieds nus. Le sol est le même entre l’extérieur et l’intérieur. La maison est assez basse de plafond. L’espace est particulièrement sombre. La fumée crée une atmosphère irrespirable. Nous comprenons rapidement que la fumée vient d’un coin faisant office de cuisine. La cuisson se fait à l’intérieur, sans échappement des fumées. En effet, le bois coûte cher. Il faut éviter la consommation rapide de cette ressource rare. De ce fait, les réfugiés privilégient des espaces clos sans renouvellement d’air. il n’y a pas de fenêtres ni d’appareils électriques pour évacuer la fumée, le sol et les parois à proximité de la “cuisine” sont noircis. Rapidement je me suis baissé, comme pour évacuer un avion en détresse. Les familles s’intoxiquent sans arrêt. Cette famille aussi s’alimente grâce aux programmes d’aide des nations unis. Ces derniers apportent de la nourriture chaque semaine. Une alimentation peu variée, du riz et de la farine. Je doute que la quantité soit suffisante pour une famille nombreuse. La mère nous a montré l’endroit où elle dort, et aussi la chambre des enfants. Les pièces sont trop petites. L’eau s’infiltre par endroit et surtout par la toiture. Quelques bouts de tissus accrochés au plafond, conduisent les gouttes loin du lit de la mère. Nous sortons sonnés de cette visite.

©Philippe Thouvenin février 2022 // La cour d’une maison dans le camp de Dzaleka. Les limites sont floues entre privé et public
©Evangelos Batagiannis février 2022 // La cuisine d’une famille nombreuse et ses abords noircis par la fumée

Aux alentours, pas de forêts. D’ailleurs la déforestation est un des problèmes majeurs au Malawi. Pourtant c’est bien le bois que les habitants du camp doivent brûler pour cuisiner et se nourrir. L’absence de bois conduit à hiérarchiser son utilisation. Il est d’abord et avant tout utilisé pour cuisiner, puis pour d’autres usages, créer des fenêtres par exemple. De ce fait, peu de maisons en possèdent. Leur absence peut, cependant, protéger du froid pendant l’hiver (les températures descendent aux alentours de 5°C). 

Mais que se passe-t-il dans la tête de ces hommes, femmes et enfants qui ont fui leur terre natale pour échapper à la misère, la guerre, la mort, pour des raisons plus terribles les unes que les autres qui se retrouvent là, dans une nouvelle détresse sans possible retour en arrière. Au travers d’Ubuntu ils ont une lueur d’espoir.

 

Quelques solutions

En observant les constructions pendant notre séjour, nous ne voyons que des malfaçons, des erreurs de construction, des défaillances de matériaux… Dans un premier temps nous nous sentons démunis, vu la taille du camp et l’ampleur de la tâche. Nous avons choisi d’attaquer d’abord le problème de la fumée en proposant une “cuisine améliorée” comportant notamment une cheminée avec un dépassement conséquent au niveau du toit. 

©Evangelos Batagiannis février 2022// Solutions envisagées et ses dessins explicatifs. Photo de la mise en oeuvre de la solution durant le chantier de la maison dans le camp de Dzaleka

Nous avons insisté aussi sur l’importance de la création d’un entrepôt pour des briques en terre crue par l’association UBUNTU. Ainsi les habitants pourront se procurer des briques pour réparer leurs maisons à temps en évitant au maximum les abus au niveau des prix et surtout la pénurie de ressources pendant la période la plus risquée pour les constructions.

Notre mission au sein de Coup de Pouce humanitaire, est arrivée à son terme. La violence de ces histoires de vie m’a marqué. Mais je garde aussi le souvenir de ces sourires offerts à des inconnus.

Ce voyage a été aussi déclencheur de nombreuses questions. En effet, tout au long de cette mission, je me suis interrogé à la fois sur notre légitimité d’intervention sur place. En d’autres termes :  Qui sommes-nous pour intervenir dans leur mode de vie? Est-ce que la construction d’une classe d’école est une priorité pour des réfugiés vivant dans un habitat dégradé ? Et par ailleurs, sur des interrogations plus pragmatiques comme comment expliquer auprès de familles que la fumée nuit gravement à la santé. Comment dire que le soubassement des bâtiments doit se faire en briques cuites quand ils n’ont même pas les moyens pour manger ? Merci d’avoir suivi notre récit.

Evangelos s’engage désormais dans une vision sur le long terme auprès de l’association Coup de pouce, œuvrant pour des enjeux de développement durable mis en place par l’ONU. Lors de sa prochaine mission, il étudiera les savoir-faire locaux et de nouvelles méthodes de conception et construction. Nous l’encourageons vivement sur ses prochaines missions !