La Gestion alternative des eaux pluviales, une autre façon d’intégrer la nature en ville
Architectes, urbanistes et paysagistes travaillons de concert au sein d’une agence pluridisciplinaire, sur l’aménagement du territoire, en lien avec des promoteurs, des aménageurs et des collectivités territoriales.
En étant au cœur des réflexions sur la densité urbaine, être paysagiste suppose de prendre en compte la rareté et la fragilité des éléments naturels, afin de faire exister durablement la nature en ville jusqu’au cœur des bâtiments. Cela nous permet de proposer une démarche complète de gestion de l’eau, du toit des bâtiments jusqu’au sol de la parcelle, puis jusqu’à l’espace public.
Deux éléments fondamentaux sont au cœur de nos réflexions afin de mettre en œuvre la biodiversité dans la ville : le sol et l’eau. Nous voulons construire de nouvelles pratiques autour d’eux.
Parlons du sol : Le sol est le substrat dans lequel les végétaux prennent racine. C’est là qu’ils puisent leurs nutriments. Pour qu’il soit vivant, il est indispensable que le sol puisse rester poreux et profiter des eaux pluviales.
Parlons de l’eau : il nous faut préserver les ressources en eau et arrêter de déverser l’eau de pluie dans les réseaux d’assainissement, là où elle ne sert plus à rien. Soyons inventifs en revoyant notre manière de penser l’architecture et les façades, afin de valoriser l’eau, son cheminement, et de l’utiliser pour le végétal. Transformons l’eau déchet en eau ressource !
Les enjeux de l’intégration des eaux pluviales dans les projets d’aménagement
Enjeux de développement durable
Nous ne pouvons plus ignorer le changement climatique et le réchauffement des températures. L’enjeu de la résilience et de la préservation des ressources est omniprésent aujourd’hui. La densité urbaine suppose de prendre en compte la rareté et la fragilité des éléments qui composent le paysage. Un de ces éléments fondamentaux est l’eau. L’eau est un élément versatile : elle peut se révéler trop rare, ou au contraire trop abondante. Le rapport du GIEC fait état d’évènements météorologiques extrêmes plus réguliers, tels que les sécheresses et les pluies diluviennes.
Aussi, il est nécessaire de concevoir la ville afin qu’elle puisse absorber ces fluctuations et gérer les risques d’inondation. Envoyer des eaux de pluie vers les stations d’épuration ne fait qu’engorger les réseaux. En cas de fortes pluies, les réseaux débordent et polluent directement le milieu naturel. A Paris, ces eaux sales se déversent directement dans la Seine 25 fois/an.
Les bénéfices de la gestion des eaux pluviales à ciel ouvert sont multiples.
Désimperméabiliser les sols et infiltrer l’eau pour recharger les nappes phréatiques contribue à réduire les épisodes d’inondations extrêmes.
La terre et la végétation ont besoin de l’eau pour se régénérer et se développer. Par définition un sol urbain ne permet pas le vivant. Mais dès qu’il devient poreux, l’eau peut s’infiltrer et les plantes prospérer avec une palette végétale diversifiée.
Faire en sorte de ralentir le ruissellement de l’eau et gérer les eaux de pluie en surface permet de les utiliser pour les espaces plantés. Cette gestion contribue à l’évapotranspiration des plantes et à un meilleur climat urbain.
Enjeux de bien-être humain
Nous connaissons aujourd’hui l’importance du végétal pour le psychisme, le bien-être et la santé des humains. La notion de biophilie montre au travers de plusieurs études que l’être humain doit, par nécessité biologique, garder une connexion avec la nature. La présence végétale au cœur du milieu urbain montre un impact positif sur la perception de la densité, rendue plus habitable et plus respirable. Mettre en scène les fluctuations de l’eau au fil des saisons donne à voir cette composante essentielle de la nature : l’eau.
Créer des sols poreux absorbant les eaux pluviales contribue au bien-être des habitants en générant des îlots de fraicheur. Se sentir mieux en ville passe par la baisse des pics de chaleur. Gérer l’eau grâce à des espaces végétalisés fait baisser la température ressentie de -2° à -8°.
Enjeux économiques
Un troisième bienfait apporté par la gestion alternative des eaux pluviales se rapporte à la sobriété du projet.
En lieu et place des réseaux de collecte traditionnels qui gèrent l’eau en souterrain et l’emmènent vers des stations d’épuration de plus en plus grandes et chères, il est plus économique de recueillir l’eau au plus près de là où elle tombe et démultiplier de petits ouvrages qui s’avèrent plus efficaces et bénéfiques pour l’environnement.
A l’échelle d’un bâtiment, on peut éviter la création de cuves de stockage enterrées, souvent couteuses, au profit de terrasses plantées, d’espaces végétalisés et de jardins de pluies qui non seulement sont moins onéreux mais génèrent également des lieux plus agréables à vivre.
Autre élément notable, les démarches qui visent à gérer les eaux pluviales à ciel ouvert peuvent faire l’objet de subventions des agences de l’eau. Pour l’Ile de France, c’est l’agence de l’eau Seine Normandie qui contribue à ces subventions.
Quelle stratégie mettre en œuvre pour faire des eaux de pluie un atout et non une contrainte ?
Objectifs d’intégration dans l’aménagement
Utiliser et valoriser l’eau dans les projets est incontournable, que ce soit à l’échelle d’un bâtiment, en évitant d’envoyer l’eau dans les parkings, où elle devient un déchet non valorisé ; en mettant en valeur le cheminement de l’eau en façade ; en l’intégrant dans les espaces jardinés et les espaces publics. Ainsi les nappes phréatiques sont réalimentées et les villes rafraichies. Pour être efficace, cette gestion alternative des eaux pluviales se joue à toutes les échelles, du bâtiment au territoire.
Agir pour l’environnement passe par la communication et la pédagogie. Aussi, pour aider nos clients à la décision, Arte Charpentier édite le Livr’eau, qui montre l’intérêt de la gestion alternative des eaux pluviales. Le Livr’eau transforme nos outils techniques en outils de communication intelligibles et recevables par nos clients.
Modes de gestion des eaux pluviales pour l’architecture, la ville et le territoire
Des bâtiments qui intègrent la gestion de l’eau
Penser organique : La remise en question de notre façon de concevoir les bâtiments passe par une architecture qui accueille différents usages complémentaires, réversibles, capables de s’adapter comme le font les végétaux. Il n’est pas question ici d’une architecture vêtue de vert, mais plutôt d’une architecture qui se concevrait avec des règles évolutives. L’eau et la façon dont elle s’insère dans le bâtiment s’intègrent parfaitement dans cette réflexion, en évitant de réduire cet élément à un fluide calculé pour passer dans un tuyau.
Dispositifs de gestion des eaux de toitures
En milieu urbain, la première surface rencontrée par une goutte d’eau est un toit. Il apparaît alors essentiel de gérer l’eau de pluie dès la toiture du bâtiment. La végétation et le substrat permettent de retenir l’eau. Les toitures tamponnent les eaux pluviales de l’ordre de 80 à 85% en été, et 10 à 15% en hiver.
Cette capacité de rétention permet de retarder l’arrivée de l’eau en pied de bâtiment. Elle peut aussi être totalement absorbée par le substrat. Le Plan Paris Pluie a établi un guide qui précise, pour Paris, la corrélation entre les épaisseurs de substrat et l’absorption des pluies. Ainsi, avec un substrat de 30 cm, les pluies d’occurrence de 1 an (22mm) sont 100% absorbées. Avec 80cm, c’est l’occurrence de 5 ans qui est absorbée.
On voit bien ici, l’impact positif sur la gestion des pluies, opéré par l’épaisseur de substrat de plantation. En jouant avec les surfaces et les épaisseurs de terre, on transforme le bâtiment en « machine hydraulique », capable de gérer les eaux de pluie, tout en créant des espaces végétalisés accessibles pour les habitants ou usagers.
L’autre intérêt pour la végétalisation des toitures et terrasses concerne la protection de l’étanchéité car celle-ci absorbe les écarts thermiques : 5° la nuit, jusqu’à 70° le jour. Ce sont ces écarts de températures qui mettent à mal l’étanchéité. En présence de végétation l’étanchéité subit moins de dommages car la végétation la protège. Une toiture en asphalte ou gravier a une durée de vie de 25 ans, alors qu’une toiture végétalisée peut faire durer l’étanchéité 50 ans et plus. Les conforts thermiques et acoustiques sont améliorés grâce au complexe du substrat et des plantes. Les plantations favorisent la biodiversité et valorisent la 5e façade.
Voir plus sur les toitures végétalisées
Dispositifs de gestion des eaux en façade et au sol
Plutôt que de canaliser l’eau dans un réseau de collecte rejeté dans les gaines techniques jusqu’au sous-sol, puis vers le réseau de ville, il est préférable de penser à la valorisation et la mise en scène de l’eau en façade. Repenser les gouttières et les descentes d’eau, et réinventer les gargouilles ! Ainsi, au lieu de considérer l’eau comme un déchet à évacuer au plus vite, elle redevient un élément vivant intégré à l’esthétique du bâtiment et qui, recueillie au niveau du sol, contribue au rafraichissement et à l’arrosage des plantations.
Arrivée au sol, l’eau peut exprimer son potentiel au travers de noues ou de jardins de pluies, des systèmes éprouvés et efficaces qui participent de la trame verte. Mais avant tout, la gestion alternative des eaux pluviales est un formidable outil de création, pour dessiner des lieux aux usages multiples et inscrits dans une temporalité variée. Les jardins de pluies forment des paysages changeants au rythme des saisons, les espaces de jeux ou les parkings peuvent être conçus en partie inondables, combinant minéral poreux, et sol fertile. Plutôt que d’écrire une réponse technique monospécifique, ces lieux apportent une réponse multiple et plurifonctionnelle. Un parc, un square, un parking, une aire de jeux peuvent aussi retenir l’eau, mettre en scène sa saisonnalité et ses fluctuations, et reconnecter ainsi l’humain et la nature. Plutôt que de canaliser en tuyaux souterrains l’eau devenue déchet, passons à l’eau source de création, de lieux de vie et de nature !
Focus In’Cube
Sur le plateau de Saclay, le bâtiment In Cube, dessiné par Arte Charpentier pour Danone, à destination de recherche, décline ces différents dispositifs. Le projet de paysage entre en résonance avec ce territoire caractérisé par un réseau hydraulique historique, fondateur de la trame urbaine du nouveau quartier. Sur In Cube, l’eau est valorisée depuis le toit jusqu’au sol. Le jardin de pluie, en pleine terre, gère les eaux pluviales avant rejet dans les noues du quartier.
Ville perméable, ville éponge
La présence végétale insérée dans les rues, sur les trottoirs, dans l’espace public, montre un impact positif sur la perception de la ville, rendue plus habitable, plus respirable. Développer les trames vertes et bleues, promouvoir une forme d’invasion végétale doit aller encore plus loin : désimperméabiliser, démacadamiser, créer du sol poreux pour absorber l’eau, rendre l’eau aux sols. Créer une ville plus verte c’est aussi l’opportunité de fédérer les habitants autour d’un projet commun, où chacun peut se sentir concerné. Il développe la convivialité entre voisins, renforce la solidarité autour de la participation citoyenne.
Focus Ecoquartier Victor Hugo à Bagneux
A Bagneux l’histoire commence par l’arrivée d’une gare du Grand Paris et un prolongement de la ligne de métro 4. Il s’agit de densifier la ville tout en lui gardant ses qualités et sa diversité : centre ancien, barres des années 60, rues de petits pavillons avec jardins. Bagneux est à l’époque une ville verte qui s’ignore, car le végétal n’est pas assez lisible et accessible sur l’espace public.
Première action : retravailler la trame viaire, fractionner les macro lots des années 60 pour donner plus de perméabilité et donner à voir et à pratiquer des espaces plantés totalement ignorés des habitants. Avant l’écoquartier, on comptabilise 3700m2 d’espaces verts publics. A terme, ce sont 10 600m2 d’espaces verts publics qui sont créés. Nous réussissons le pari de densifier la ville (+ 2 000 habitants) tout en gardant intacte la surface d’espaces perméables qui passe de 25% à 27%.
Deuxième action : s’appuyer sur les îlots verts et les relier entre eux afin de mailler le quartier avec une trame verte piétonne et des liaisons douces. Le réseau de voies vertes connecte du nord au sud les jardins ouvriers, les jardins partagés, le nouveau parc Ilan Halimi, le parvis du théâtre et, plus au sud, le parc Robespierre.
Troisième action : végétaliser et désimperméabiliser. Les arbres dans les rues sont plantés en bosquets, le nivellement est réglé pour que les arbres soient sur le chemin de l’eau. Le parc privé, devenu public, accueille un jardin de pluie. Un parking est requalifié et désimperméabilisé. La gestion alternative des eaux pluviales se décline en noues et structure l’ensemble du quartier : la trame verte s’enrichit d’une trame bleue.
Territoire résilient : aménager les villes en se fondant sur les lignes de force du paysage et de la géographie
Les évènements récents nous montrent bien que nous devons vivre désormais avec les risques climatiques. Il nous faut mettre en œuvre des stratégies de prévention des inondations afin de minimiser les catastrophes et intégrer le risque dans les projets urbains. A l’échelle d’un territoire, prendre en compte les données géographiques de topographie et d’hydrographie est encore plus indispensable, afin de restaurer les fonctionnalités écologiques et mettre en œuvre une ville perméable, apte à absorber les surplus d’eau.
Focus Ecocité sinofrançaise de Caïdian
Située sur le territoire de Wuhan, en Chine, cette ville en développement s’inscrit dans un territoire d’eau, avec un réseau hydrographique omniprésent mais où les milieux aquatiques sont peu valorisés. La future cité est bordée au Nord et au Sud par des lacs au sein desquels subsiste pour partie de l’aquaculture. Nous avons conçu le masterplan en dessinant des corridors verts permettant une gestion intelligente des eaux pluviales, en lien avec le réseau hydrographique naturel existant. Cette région de Chine est connue pour ses pluies importantes et les autorités nous ont demandé de prendre en compte non pas un niveau décennal mais cinquantennal. C’est un volume considérable. Pour éviter la multiplication d’infrastructures souterraines, nous avons imaginé des dispositifs à l’air libre qui permettent d’amplifier la taille des espaces publics. Le paysage et les dispositifs de gestion alternative des eaux pluviales sont à l’origine de la structuration du plan masse. Le travail sur l’eau a eu une action indéniable sur la manière de dessiner ce nouveau morceau de ville.
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Nathalie Leroy Paysagiste concepteur, Associée
Directrice TerritoireFORMATION
Formation La Forêt-Jardin – École de permaculture du Bec Hellouin (2019)
Paysagiste D.P.L.G. – École Nationale Supérieure du Paysage de Versailles
Diplôme de designer textile – École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris
PUBLICATIONS
Participation à l’ouvrage Les 101 mots du paysage, collectif, édition Archibooks, 2017
CONFÉRENCES
Intervention dans le cadre du Module Ville Durable – ESTP, Ecole Spéciale des Travaux Publics
Colloque sur la préservation des sols, octobre 2019 – CEREMA
Vidéo enregistrée pour le SIMI, sur le lien entre les Cycles du Vivant et la ville – CIBI
Animation d’une formation sur la coproduction de la ville avec les habitants. Depuis février 2020 – CADRE DE VIE
JURY
Le Havre, parc sportif paysager de Graville la Vallée