Il semble impossible de ne pas aborder le sujet incontournable du moment: l’intelligence artificielle (IA). Ce domaine bouleverse et révolutionne tous les secteurs, bien qu’il ne soit pas aussi récent qu’il y paraît(1).

 

L’arrivée des IA génératives a marqué une rupture technologique significative: l’exemple le plus emblématique est sans doute ChatGPT, qui illustre parfaitement le potentiel de ces technologies.

Cette avancée spectaculaire souligne un point essentiel: l’IA en tant que telle n’est ni intrinsèquement bonne ou mauvaise ; elle n’est qu’une technologie. Qu’on le veuille ou non, son développement est inévitable, à l’instar de toutes les grandes avancées qui l’ont précédée. Être contre l’IA en 2024, reviendrait à s’opposer à l’acier dans la construction au XIXe siècle ou au béton armé au début du XXe siècle. Manifester une réticence, une peur vis-à-vis de son expansion, est légitime, néanmoins cela n’empêchera pas son intégration dans nos vies.

Le véritable enjeu n’est pas tant le développement de la technologie elle-même, mais ce que l’humanité choisiront d’en faire. En partant du postulat que l’IA sera exploitée à des fins lucratives, cette direction impactera profondément les secteurs créatifs comme l’architecture. Ces domaines où la valeur de l’œuvre humaine est centrale, subiront des conséquences significatives, entraînant si ce n’est une révolution de ces métiers, une situation sans précédent dans l’histoire.

ENQUÊTE ET PERSPECTIVES

Plutôt que de redouter l’IA, nous pensons qu’il est crucial de l’appréhender pour mieux la maîtriser. En anticipant son impact, nous pouvons élaborer une stratégie d’intégration adaptée. Dans cette perspective, Arte Charpentier a mené une enquête auprès des membres de l’European Architects Network (EAN) pour évaluer l’état actuel de l’adoption de cette technologie au sein des agences Tchoban Voss Architekten, Altiplan°architects, Progetto CMR, Estudio Lamela Arquitectos et HOK.

Il apparaît que l’adoption de l’IA devient une norme et que son impact est déjà perceptible, bien que les défis ne manquent pas. Cette enquête explore les motivations, les applications, les difficultés rencontrées, les perspectives futures et inclut des témoignages récents illustrant l’utilisation actuelle de l’IA dans ce domaine.

L’intégration de l’IA dans les entreprises d’architecture est devenue une réalité incontestable. Toutes les entreprises interrogées ont adopté cette technologie dans au moins un domaine, principalement le design (100%) et la gestion de projet (40%).

Les motivations principales de cette intégration sont claires: améliorer l’efficacité (80%), favoriser l’innovation (80%) et rester compétitif (80%). L’IA est vue comme une solution pour optimiser les processus de travail, libérer du temps et permettre aux professionnels de se concentrer sur des tâches plus stratégiques.

L’enquête révèle que l’IA est principalement utilisée pour des tâches variées telles que la génération d’images (80%), l’automatisation des processus (40%) et la gestion des données (40%).

Dans ce cadre, des tests approfondis sont menés sur des outils d’ IA sélectionnés pour évaluer, selon des flux de travail prédéfinis, leur impact sur la qualité des phases conceptuelles des projets. Ces tests incluent notamment l’utilisation de l’architecture paramétrique (20%), facilitant l’exploration de nouvelles options et l’optimisation plus efficace des projets.

Plusieurs agences (60%) observent des améliorations dans la conception et la gestion des données, avec une accélération d’étapes critiques comme la génération d’images et la gestion de projets. Cependant, elles restent prudentes, estimant qu’il est encore trop tôt pour évaluer pleinement l’impact de l’IA. Les premiers résultats des tests en cours sont toutefois encourageants. À moyen terme, les conclusions de ces essais détermineront si l’IA sera intégrée de manière permanente.

Malgré les bénéfices potentiels, plusieurs obstacles freinent l’adoption de l’IA dans l’architecture. Parmi les principales difficultés figurent le manque de compétences internes (80%), la résistance au changement (40%) et les coûts élevés (20%) des nouvelles technologies. Ces facteurs ralentissent l’adoption massive de l’IA, bien que la tendance soit à une expansion progressive.

Face à ces défis, le développement des compétences en IA devient un enjeu central pour les entreprises. Certaines misent sur l’autodidaxie de leurs employés (60%), tandis que d’autres optent pour une approche plus structurée (40%), en formant des équipes spécialisées pour tester les outils IA et évaluer leur impact sur l’optimisation des processus.

Les logiciels de dessin assisté par IA dominent les outils utilisés (80%), avec des applications comme la gestion de projet et l’analyse des données. L’interopérabilité entre logiciels est également un aspect crucial pour le secteur en permettant de transférer des informations plus rapidement entre différentes plateformes, facilitant la gestion des projets complexes.

En dépit de l’importance accordée à l’IA, les sociétés d’architecture investissent encore relativement peu dans ces technologies, principalement moins de 1% de leur chiffre d’affaires (80%). Cette prudence s’explique par la lenteur d’adoption de certains outils et la nécessité de mieux comprendre leur potentiel.

L’IA transforme progressivement le secteur de l’architecture. Les agences en sont à différents stades d’adoption, certaines testant les outils, d’autres en bénéficiant déjà. Bien que l’IA offre des gains en efficacité, gestion du temps et qualité du design, des défis subsistent, notamment en matière de formation et de résistance au changement. Néanmoins, il y a un consensus: l’IA redéfinira profondément l’architecture dans les cinq prochaines années, intégrant la créativité humaine avec la puissance des algorithmes.

RISQUONS-NOUS DE VOIR NOS PROFESSIONS REMPLACÉES ?

L’architecture se caractérise par la singularité de chaque projet, qui s’accompagne de nouveaux collaborateurs, contraintes spécifiques et particularités locales. Ce contexte exige une capacité d’adaptation permanente, tant dans les processus de conception que dans les interactions humaines. Si l’IA peut répondre à certains besoins, cela fonctionne surtout lorsque les données et les projets sont bien structurés dès le départ. Cependant, dans un domaine où l’imprévu est la norme, les limites de l’IA apparaissent dès qu’elle doit s’adapter à des situations complexes ou mal définies, rendant son utilisation plus délicate et parfois moins efficace.

L’architecture, comme toute forme d’art, est l’expression de l’imagination humaine. Les IA, bien qu’extrêmement performantes, ne pourront jamais réellement incarner l’humanité. L’architecture est une quête de dépassement et c’est à nous de lui offrir de nouvelles perspectives.

(1) Les premières IA basées sur des arbres de décision sont utilisées depuis les années 1960, tandis que l’apprentissage automatique (machine learning), a émergé dans les années 1990.

 

Francis Baucher Architecte | BIM & Digital Coordinateur