Stéphane Quigna, formé à l’Ecole Camondo, a rejoint Arte Charpentier en 2005, après un passage au sein des agences de Jean-Michel Wilmotte, Franck Hammoutene et Christian de Portzamparc. Il dirige aujourd’hui le pôle Architecture intérieure & design de l’agence, qui réunit une dizaine de concepteurs. Avec Clémence Rabin Le Gall, de l’équipe, et Sylvie Simon-Elia, membre de l’association Architectes Solidaires, il vient de livrer la requalification du restaurant de l’hôpital universitaire Jean-Verdier AP-HP, à Bondy, première action de l’association.
Leur implication dans Architectes Solidaires, fondée par Cyril et Esther Pinabel [BATI’life], les a rapprochés autour de cette volonté commune : apporter à leur mesure et avec les compétences de leurs équipes, confort et bien-être aux soignants.
Arte Charpentier : Cyril, comment est venue l’idée d’Architectes Solidaires ?
Cyril : Pendant le confinement, j’ai été comme tout le monde impressionné par l’implication des soignants, qui ont pris la crise sanitaire de plein fouet, et se sont impliqués corps et âmes, sans hésitation. Et je me suis dit que, nous, les archis, ne faisions jamais rien…
Notre corporation mène peu d’actions collectives, et, à mon avis, n’est pas assez fédérée – et donc pas assez solidaire. Ni entre nous, ni avec la société en générale. Nous descendons rarement dans la rue – moi le premier. Mais là, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose.
On passe notre vie à faire des espaces sublimes avec des décos incroyables pour des clients privés, et parallèlement, on voit se dégrader les espaces des personnes qui prennent soin de nous. Ils méritent eux aussi des espaces de qualité, acoustiquement, graphiquement, visuellement.
Donc je me suis dit qu’on pourrait essayer, à notre humble mesure, avec ce qu’on sait faire, d’apporter un coup de main, de faire un geste pour la communauté hospitalière. Quand j’ai eu cette idée début mars (2020), je me suis rapproché d’Esther [Pinabel, de BATI’life], qui a tout de suite été partante.
On a vite été en contact avec Protège ton soignant, et après quelques semaines d’échanges, ils nous ont dit, « voilà, il nous reste des fonds, l’association n’a pas vocation à exister après juin, donc ce qui nous restera après, on vous le donnera ». Ils ont apprécié notre démarche et trouvaient intéressant que leur action se poursuive différemment à travers nous.
Esther a eu ensuite l’idée d’associer des partenaires, fabricants et fournisseurs que nous connaissons bien pour travailler régulièrement avec eux sur nos projets. Et moi bien sûr j’ai voulu en parler à d’autres architectes. Trois agences nous ont rejoints : ORY.architecture, Viguier et Arte Charpentier, avec Sylvie Simon-Elia. Rapidement, nous avons aussi demandé à Builders&Partners de nous rejoindre pour assurer le suivi de chantier, et ils ont répondu présents avec conviction en proposant également leurs compétences en ingénierie.
Et ce qui est touchant, c’est de voir que là on n’est pas concurrent. Vraiment, ça fait du bien. C’est frais. On se montre nos projets, on discute. De façon naturelle et impulsive, tout le monde a suivi, avec beaucoup d’enthousiasme…
Nous avons décidé de nous concentrer sur les espaces de repos d’hôpitaux franciliens dans un premier temps, et on a identifié 3 ou 4 espaces à traiter.
Les agences travaillent bénévolement, en mécénat de compétence, les fournisseurs mettent à notre disposition des stocks et invendus, et les entreprises sont bien sûr payées, mais à prix coutant.
Je suis ravi que le premier espace ait été réalisé par Arte Charpentier. Les trois autres sont en cours.
Le challenge a été assez dur pour Arte Charpentier, l’espace est le plus grand, un restaurant de 160 à 180 places, de près de 300 m².
C’est marrant, on est devenu assez proches avec ces 4 agences, je me mets à liker Stéphane et les autres sur les réseaux sociaux, ce qui ne m’arrivait pas avant… C’est une belle aventure humaine.
Stéphane : Au départ, tu as appelé Andrew [Hobson, architecte associé et directeur général d’Arte Charpentier], on ne se connaissait pas. Il m’a tout de suite demandé mon avis, et nous, même si c’était compliqué à intégrer – un chantier complexe, en milieu hospitalier, site occupé, au mois d’août… -, on a trouvé l’initiative tellement… riche et spontanée, qu’évidemment, il fallait le faire.
C’était important, après l’été, de contribuer à ce que l’élan de solidarité pour les soignants trouve un nouvel essor. Et puis ce projet, finalement, est très cohérent avec notre culture d’entreprise.
Donc on ne savait pas trop comment on allait y arriver, il a fallu comprendre comment fonctionne le mécénat de compétence, intégrer le projet à notre plan de charge, etc, mais on y est arrivé – en grande partie grâce à Clémence [Rabin Le Gall, architecte d’intérieur chez Arte Charpentier], qui a pris le sujet à bras le corps.
Ça nous fait du bien, ça fait du bien à l’équipe. Ça nous oxygène. Même ceux qui ne travaillaient pas sur le projet sont heureux que l’agence ait pris ce parti fort, qui n’est pas évident. Dans notre boulot, pas simple tous les jours, on a parfois de belles satisfactions, et c’en était une.
Et puis les retours sont extraordinaires. C’est très touchant et gratifiant d’entendre les médecins, la directrice de l’hôpital Marie Gourain, le responsable du restaurant, et Alban Amselli, le directeur adjoint des hôpitaux universitaires Paris Seine-Saint-Denis, nous dire que notre intervention a vraiment changé leur quotidien.
« Au nom de l’équipe de direction, et de toutes les équipes, merci.
Merci pour votre engagement, votre démarche et votre envie de communion avec les soignants, les médecins …
Il est important que vous sachiez que vous étiez avec nous un peu tous les jours pendant cette crise, comme tous les donateurs, et je remercie chacun d’entre vous pour le travail réalisé.
Ce travail de rénovation permet d’améliorer les conditions de travail des agents qui doivent être remerciés pour ce qu’ils font au quotidien. »
Alban Amselli, adjoint au directeur des hôpitaux universitaires Paris Seine-Saint-Denis AP-HP, à l’occasion du moment de remerciement du restaurant de l’hôpital universitaire Jean-Verdier AP-HP, le 12/10/21
Arte Charpentier : Quelle est la spécificité de ce type d’intervention ?
Stéphane : C’était très nouveau pour nous, parce que le cahier des charges, c’est nous qui l’avons écrit. On le leur a proposé, et travaillé avec eux, bien sûr, mais nous avons été notre propre client, en quelque sorte. On s’est imposé des contraintes. L’exercice est très difficile. D’habitude, on a les quantités de matériaux qu’on veut. Là, on doit faire avec le résiduel des partenaires fournisseurs. On doit se dépasser, être inventif, sortir de sa zone de confort, et à la fin, on est fiers parce que le projet est quand même qualitatif, avec très peu de réserves. Le résultat est là, et le restaurant a pu être mis en service dès début septembre. C’est formateur, on apprend toujours de la nouveauté.
Cyril : Sur ces projets particuliers, la difficulté est de rendre le projet agréable, acoustique, de qualité, avec peu de moyens. Et la réussite est collective, puisqu’il est fait avec des petits bouts de tout le monde, l’implication de chacun et de tous les fournisseurs – Muuto, Tarkett, Grohe, Rockfon, Sto France… En fait c’est encore plus dur qu’un projet classique !
Arte Charpentier : Comment, entre architectes, avez-vous abordé cette problématique, redonner des espaces qualitatifs à des soignants, dans des conditions complexes ?
Cyril : La conception était libre bien sûr pour chaque agence, on est tous des grands, on fait de l’archi depuis 30 ans, donc chacun était libre. Par contre c’était sympa de se présenter nos projets les uns aux autres, et aussi aux fournisseurs, qui du coup pouvaient suggérer leurs produits.
Stéphane : Oui, nous avons bien échangé, c’était bien, ça a nourri nos projets. Et la philosophie était là, commune : ne pas être dispendieux, ne jamais transiger sur l’exigence, et être convaincants pour trouver des partenaires.
Arte Charpentier : Est-ce que cette expérience a changé votre approche du métier ?
Stéphane : Heureusement non. Notre démarche sur ce projet a été la même que sur tous les autres : le partage, la proposition, la recherche du confort et du bien-être pour tous, avec exigence. On veut faire en sorte que les gens soient bien dans les espaces qu’on leur crée.
Cyril : Effectivement, je confirme, on a le même process. Je crois qu’on a gagné notre pari, si les soignants n’ont que 30’ pour manger, bah au moins, qu’ils puissent le faire dans un espace agréable, qui leur apporte la même « déconnexion » que s’ils sortaient. On a considéré les soignants comme tous nos clients. Exactement pareil. Et on a mis des seniors sur les projets, avec beaucoup d’expériences et de convictions. Rien n’a été fait à la légère.
Arte Charpentier : Comment l’hôpital a-t-il accueilli la démarche ? Quelles ont été vos relations avec les soignants et les équipes ?
Stéphane : Ce qui s’est passé est très intéressant. Je connaissais mal le milieu hospitalier, et je n’avais jamais été dans cette démarche-là, de mécénat de compétences. Et eux, de la même façon, n’ont pas l’habitude qu’on leur « offre » quelque chose. Quand on offre un cadeau à quelqu’un, les réactions sont parfois complexes. On peut avoir « peur » d’un cadeau, se méfier. Quand on a dit « on va vous refaire votre restaurant », et quand on leur a expliqué tout ce que ça a impliquait, la fermeture, les contraintes, etc, il y a eu un moment de réflexion. Mais on a beaucoup parlé, on a expliqué, on a fait de la pédagogie, et les deux univers ont fait un pas vers l’autre.
Cyril : Oui c’est vrai, c’est pareil sur notre chantier, à Lariboisière : on arrivait en leur offrant du rêve, et en fait eux étaient tout de suite très pragmatiques, très techniques. Il y a tout de suite eu un véritable enthousiasme, bien sûr, mais les opérationnels évidemment sont beaucoup plus concrets. C’est normal. Les équipes des hôpitaux sont d’un grand niveau d’exigence, on était en contact tous les jours avec le SPS [sécurité et protection de la santé].
Stéphane : En tout cas c’était une super expérience. Et on a réalisé de l’intérieur l’ampleur de la tâche…
Cyril : Ce que nous faisons n’est qu’une goutte d’eau… Mais c’est gratifiant, et la communauté hospitalière nous a vraiment conforté dans notre approche : elle est reconnaissante non seulement pour le confort concret obtenu, mais aussi et surtout du soutien que la démarche leur apporte.
« Nous sommes très fiers d’avoir porté avec l’association Architectes Solidaires la rénovation du restaurant du personnel de l’hôpital Jean-Verdier. Son ouverture le 1er septembre dernier a été un pas décisif dans l’amélioration de la qualité de vie au travail des agents. C’est aujourd’hui un espace moderne et chaleureux qui bénéficie à tous les professionnels du site. Le gain acoustique et thermique est un franc succès, il permet à chacun de s’offrir une pause conviviale avec ses collègues. Nous avons une pensée chaque midi pour l’association et ses donateurs sans qui tout cela n’aurait pas été possible. »
Marie Gourain, directrice de l’hôpital universitaire Jean-Verdier AP-HP.
Evidemment, on ne peut pas faire 5 projets bénévolement par an, hein, c’est pas possible. Donc il faut faire entrer des confrères. L’investissement en temps et en énergie est important, il faut que ça tourne, que le mouvement s’amplifie, et que d’autres agences nous rejoignent. Nous avons aussi besoin d’étoffer Architectes Solidaires avec des compétences que nous n’avons pas.
Et évidemment, le nerf de la guerre, c’est l’argent.
Nous souhaitons multiplier nos actions, nous avons besoin d’aide pour nous aider à aller sur d’autres espaces, et sortir aussi de Paris.
C’est pourquoi nous sommes maintenant à la recherche d’autres partenaires qui pourraient nous rejoindre pour financer l’association et ses actions.
Nous avons découvert la solidarité avec cette action. Comme il n’y a pas d’intérêt économique entre les parties, on a un retour plein de sincérité. Ça fait du bien à tous : à nous architectes, aux fournisseurs, aux partenaires, à la communauté hospitalière. J’espère que beaucoup nous rejoindront, pour que nous puissions faire plus, dans plus d’hôpitaux, partout en France.
Début septembre 2021, après un mois de travaux de rénovation, le personnel de l’hôpital universitaire Jean-Verdier AP-HP de Bondy en Seine-Saint-Denis a retrouvé un nouvel espace de restauration à la hauteur de son engagement quotidien.
Il offre à la communauté hospitalière un cadre de pause convivial et agréable grâce à un travail important réalisé sur l’acoustique et à un réaménagement des espaces et du design.
Premier projet livré sur les quatre retenus par l’association Architectes Solidaires pour la période 2020-2021, il a été réalisé bénévolement par l’agence Arte Charpentier (études, esquisses, chiffrages), Builders&Partners pour le suivi de l’exécution, Sylvie Simon-Elia, architecte (coordination avec la maîtrise d’ouvrage), et les donations en matériaux et mobilier des sociétés STO, MUUTO, SILVERA, TARKETT et ROCKFON. Les travaux ont été réalisés par la société BMA.
Cette rénovation n’aurait pas pu voir le jour sans le soutien financier du collectif Protège Ton Soignant et de la Fondation Capelli.