Architecture commerciale : de quoi parle-t-on ?
Le centre commercial, le grand magasin ou la boutique sont autant d’objets architecturaux qui figurent au panorama de l’architecture commerciale. Le parc d’activité commercial et les entrées de ville, souvent composés de « boîtes » juxtaposées, définissent quant à eux des formes d’urbanisme commercial.
L’architecture commerciale regroupe une grande diversité d’usages liés à l’accueil du public et à l’organisation fonctionnelles des locaux commerciaux. Les intentions et objectifs de la maîtrise d’ouvrage, comme l’image de marque par exemple, relèvent souvent de l’échelle du design d’espace et sont principalement portées par les architectes d’intérieur. L’enveloppe du bâti, la peau de l’édifice et la qualité de l’espace accessible aux usagers est alors l’enjeu du projet d’architecture commerciale. Pour cela, l’architecte cherche à travailler les ambiances des espaces via l’apport de lumière (naturelle et artificielle), l’acoustique, l’intégration du végétal, et le traitement des matériaux et des couleurs.
En termes d’urbanisme commercial, le projet est pensé à une échelle plus large pour analyser et proposer une gestion fluide des flux de personnes et de marchandises en considérant la place des usagers, habitants-riverains et commerçants. Les espaces commerciaux, à la fois espace accueillant du public soumis à des normes de sécurité particulières et espaces professionnels, composent alors une palette d’usages variés.
Ces espaces sont aujourd’hui sujet à de la vacance commerciale notamment due à l’e-commerce. Les images aux Etats-Unis des dead malls series du vidéaste Dan Bell illustre l’état critique de cette situation. En France, la déshérence se traduit par des poches de locaux commerciaux vides. Alors quels dispositifs en terme programmatique, architectural et urbain, peut-on mettre en place pour renouveler ces espaces, notamment lorsqu’ils sont re-composés par la vacance commerciale à l’image d’un damier alternant locaux disponibles et occupés ?
Quelles stratégies de réinvention pouvons-nous proposer ?
Certains édifices comportent une qualité patrimoniale pour laquelle la réhabilitation semble évidente, comme par exemple dans la galerie couverte Arcade Providence de Rhode Island aux Etats-Unis transformée en 2021 en une cinquantaine d’appartements. Cependant lorsqu’il s’agit d’espaces construits rapidement, de manière économique, avec des matériaux peu pérennes, le défi semble plus conséquent. En tant qu’architecte, notre rôle est alors de proposer de transformer une image figée des lieux afin de leur redonner des usages et de générer des mutations urbaines.
Chez Arte Charpentier, ces questions font l’objet d’un travail de recherche à différentes échelles depuis plusieurs années. Nous développons la diversité programmatique de ces espaces en y intégrant la création d’espaces publics et d’une densité viable participant à la fabrique urbaine. Nous interprétons le centre commercial comme un terrain d’expérimentation à déployer à l’image d’une « boîte » pop-up qui viendrait se déplier sur son territoire immédiat.
Des friches industrielles aux friches commerciales
Dans les années 1950, un architecte autrichien immigré aux Etats-Unis, Victor Gruen, conçoit et réalise un modèle qui fera florès : le centre commercial périurbain. Bien que son idée de départ ait été galvaudée, le modèle se répand en France à partir des années 1970. En effet, Gruen souhaitait des « centres » satellitaires en périphérie de ville, concentrant de nouvelles centralités urbaines et rassemblant commerces et lieux culturels. En France, ce sera majoritairement la grande distribution qui portera les projets des centres commerciaux. Insérant d’abord la « locomotive » super/hypermarché, c’est-à-dire le générateur de flux, et lui attenant une galerie marchande qui profitera de cet apport.
La prolifération de ces réalisations amena la création de dispositifs législatifs restrictifs pour tenter d’endiguer le processus expansion exponentielle en cours. Pour ne citer que quelques étapes charnières, la loi Royer en 1973 instigua un régime d’autorisation d’exploitation commerciale nécessaire à la création de nouvelles surfaces commerciales au-dessus de 1000 m² ( ou 1500 m² selon le nombre d’habitants des communes).
Pour éviter le découpage des emprises passant sous le seuil des autorisations, la loi Doubin en 1989 instaure la notion d’ensemble commercial. A de nombreuses reprises la composition des institutions promulguant ces autorisations a été adaptée et les modalités des demandes ont été modifiées (loi Sapin, loi Raffarin, loi LME, loi ACTPE). Et en 2014 des mesures sont prises pour la réduction de l’emprise réglementaire de parking passant d’un ratio de 1,25 à 0,75 de l’emprise bâti tandis qu’avec les lois Grenelle II, la loi SRU puis la loi ELAN ce sont les mécanismes de renouvellement urbain qui sont mis en avant. Et désormais ce sont les questions écologiques qui viennent s’inscrire dans la continuité des réglementations d’urbanisme commerciale.
Les restrictions de la Loi Climat pour l’architecture commerciale
Le projet de loi Climat et Résilience, issu de la convention citoyenne pour le climat et adopté le 20 juillet 2021 au parlement, vise notamment à lutter contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols. L’article 52 instaure l’interdiction formelle de la création de surface commerciale de plus de 10 000 m² qui transformerait des terrains de pleine terre en infrastructures ou terrains à construire et une interdiction avec dérogation envisageable sous condition sous ce seuil. D’autre part, un objectif de réduction de 50% de la réalisation des surfaces de parkings dans la prochaine décennie par rapport à la décennie précédente est fixée.
Ces prises en compte écologiques dans le processus législatif viennent repositionnés les enjeux des grands projets urbains. En effet, il y a fort à penser qu’étant donné la ressource disponible des espaces commerciaux dans le périurbain déjà fortement artificialisé, ces réserves foncières deviennent de véritables « gisements » d’urbanités.
Alors architectes, urbanistes et acteurs de la ville : A nous de jouer !
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Sophia Verguin Architecte doctorante, chargée de recherche
THESE
« Le centre commercial de demain : une centralité en devenir ? S/Chopping malls, La nouvelle fabrique de la cité » – co-direction Université du Mans (ED STT, ESO Le Mans) et Université de Paris (ED 131, CERILAC)
FORMATION
Architecte H.M.O.N.P. – École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Belleville (2019)
Diplôme d’État d’architecte – mention Recherche – Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Belleville (ENSAPB) (2018)
Licence d’architecture – Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Malaquais
Autre formation : Cours du soir en histoire des sciences et techniques à l’Ecole du Louvre. (Techniques des bronzes & des céramiques, vitraux, orfévrerie, etc.) (2017)
PRIX
Prix du meilleur mémoire d’architecture (2018) – « Confiner in fine ? : les laboratoires de sciences expérimentales au Collège de France » – décerné par la Maison de l’architecture Ile-de-France