Inclus: interview de Marie-France Bouet, architecte urbaniste d’Arte Charpentier Architectes
Le Monde.fr | 26.04.2013 à 11h10
Par Audrey Garric et Sophie Landrin
Après l’aérospatial et le nucléaire, la ville durable est-elle devenue le nouvel atout pour gagner des parts de marché en Chine ? C’est en tout cas la volonté de la France, alors que le président François Hollande effectue une visite officielle à Pékin, jeudi 25 avril et vendredi 26 avril, accompagné de huit ministres et d’une soixantaine d’entreprises.
Dans la délégation, des grands groupes comme EDF, Suez Environnement, Veolia ou Alstom côtoient des PME telles que Architecte-Studio ou Arte Charpentier Architectes. « Nous voulons montrer, en construisant de nouveaux quartiers en Chine, notre savoir-faire avec de grands groupes et d’autres acteurs dans l’ingénierie, le chauffage urbain, les transports, sans oublier nos urbanistes et nos architectes. D’où l’idée de proposer une offre globale, alors que souvent les entreprises françaises se font concurrence entre elles », expliquait au Monde, avant son départ pour l’Empire du Milieu, Martine Aubry, représentante spéciale du Quai d’Orsay pour la Chine.
Une urbanisation galopante et un marché en pleine expansion
L’idée apparaît d’autant plus attractive que le marché chinois est en pleine expansion. Aujourd’hui, 690 millions de Chinois vivent dans les villes, soit un habitant sur deux, contre moins de 200 millions en 1980. Le taux de croissance urbaine progresse à un rythme de 3 % par an et cette expansion devrait se poursuivre jusqu’en 2020 ou 2030, notamment dans le centre et l’ouest du pays.
« La Chine est l’un des rares pays au monde où l’on produit encore des villes, qui bénéficient d’importants soutiens financiers des pouvoirs publics. Ce développement urbain constitue un immense marché pour les entreprises étrangères, assure Jean-François Doulet, maître de conférence à l’Institut d’urbanisme de Paris et directeur adjoint du centre franco-chinois Villes Territoires. D’autant que la Chine est demandeuse d’expertise étrangère pour l’aider à gérer un processus extrêmement rapide qu’elle a du mal à maîtriser. »
De fait, l’urbanisation galopante de la Chine, si elle s’est améliorée depuis vingt ans, souffre de lourds handicaps. De piètre qualité et peu durables, les infrastructures urbaines sont mal intégrées au reste de la ville. L’immobilier reste essentiellement résidentiel, les équipements publics manquent et l’environnement est négligé. Dans le Grand-Ouest chinois, 700 sommets vont ainsi être rasés pour bâtir des métropoles. « On est dans des projets très court-termistes avec des promoteurs qui recherchent surtout la rentabilité de l’investissement », poursuit Jean-François Doulet.
Forte concurrence allemande, britannique et américaine
Mais, alors que la ville durable devient un produit d’export, la France accuse du retard sur ses concurrents, essentiellement allemands, britanniques et américains. Pour conquérir ce marché, Paris mise depuis peu sur un créneau : une offre globale, intégrée, axée sur la qualité de vie. « Alors que les Américains ou les Allemands mettent l’accent sur l’efficacité et l’ingénierie, la french touch, comme on l’appelle dans le milieu, fait plus référence à des savoir-faire urbains intégrés, une expertise technique associée à la prise en compte du patrimoine, de l’architecture, de l’environnement et des aspects socioculturels », précise l’expert.
Sur le modèle des écoquartiers et écocités développés dans l’Hexagone, les Français proposent d’intégrer en amont de la conception de la ville les questions de transports, d’énergie, d’eau, de déchets, de réseaux intelligents et d’espaces verts. « Cette technicité doit s’accompagner d’un volet social pour produire un espace de qualité, un cadre de vie, du vivre-ensemble« , ajoute Marie-France Bouet, architecte-urbaniste au cabinet Arte Charpentier Architectes, présent en Chine.
Cette offre sur la ville durable, la France la mûrit depuis un an. Ainsi, à l’été 2012, le ministère du commerce extérieur a réuni l’Association française des entreprises privées (AFEV), des architectes et des bureaux d’études afin d’élaborer des solutions globales et de faciliter les synergies entre grands groupes et PME. « Le constat qui avait été fait, explique Eric Lesueur, directeur des nouveaux services urbains chez Veolia, membre de l’AFEV, c’est que la France dispose d’une école d’urbanisme reconnue, d’architectes renommés et d’entreprises d’excellence, mais ne parvenait pas à exporter ses savoir-faire. »
La France veut faire des ses villes vertes des vitrines pour l’export
Le groupe de travail espère développer d’ici une à deux années plusieurs démonstrateurs en France de villes vertes, des vitrines pour l’export. « Là où Arnaud Montebourg développe des filières industrielles verticales, je construis une famille horizontale, intégrant de nombreuses PME », explique Nicole Bricq, la ministre du commerce extérieur. Un délégué interministériel devrait être nommé dans les prochains jours pour coordonner l’offre française sur la ville durable. Le nom de l’ancienne commissaire au développement durable, Michèle Pappalardo, est avancé.
Cette offre globale française séduira-t-elle les Chinois ? Le géographe Jean-François Doulet tempère l’optimisme du gouvernement : « Si l’image romantique de la France plaît à l’étranger, le positionnement français sur la qualité de vie peut apparaître pour certains acteurs chinois comme trop en amont par rapport à leurs préoccupations plus basiques et techniques. » La France espère toutefois ne pas repartir les mains vides en signant un partenariat avec deux villes chinoises.