Georgina André est chercheuse en géographie. Elle effectue au sein de l’Agence Arte Charpentier Architectes une thèse concernant l’aménagement urbain en Chine, en prenant le cas de Wuhan. Commencée en janvier 2016 pour une durée de 3 ans avec des allers-retours prévus sur le terrain, nous vous proposons de suivre ses pérégrination et impressions – dont voici le premier billet après son premier séjour en mars et avril dernier !
La planification urbaine a une dimension spatiale, mais aussi temporelle. Cette temporalité se manifeste par la vision lointaine de la ville souhaitée, ou l’enjeu immédiat de la priorisation des projets urbains et de la coordination des différents temps d’aménagement. En Chine, cette dimension temporelle se réduit souvent à la question de la vitesse qui n’est pas uniquement une modalité de l’aménagement urbain, mais bien une ambition et un projet politique. Constitutive de la formation des nouvelles métropoles du centre de la Chine comme Wuhan, cet impératif de vitesse rend plus complexe le visage des villes provinciales anciennes.
Il est vrai que pour asseoir sa maîtrise du développement urbain souvent contestée par ses arrondissements qui ont aussi la compétence d’urbanisme, la municipalité de Wuhan pousse vers la mise en œuvre de grands projets urbains complexes, qui associent une dimension transport (construction de lignes de métro par exemple) et une dimension urbaine (par exemple un quartier d’affaires). Ceci permet à la municipalité de mettre en œuvre la restructuration urbaine du centre-ville, de contenter les arrondissements où chacun a « son » projet urbain, mais aussi de maîtriser le développement du foncier stratégique en fournissant l’expertise technique et la supervision nécessaires à la réalisation de ces projets urbains colossaux. Sans compter que le travail incessant d’élaboration des plans d’aménagement enclenche une dynamique de pilotage opérationnel porté par le bureau d’urbanisme municipal et ses antennes locales où chaque acteur est pris dans le mouvement planificateur… Au prix malgré tout de déclencher une transition urbaine sans précédent où aucun projet n’est priorisé de peur de donner l’impression de favoriser un arrondissement plutôt qu’un autre.
Ce lancement simultané de tant de chantiers d’envergure métropolitaine a quelque chose d’auto-prophétique en donnant à voir tout le temps et partout la transformation effective vers la ville moderne et post-industrielle…sans compter tous les messages politiques qui se diffusent sur les murs des chantiers et évoquent tour à tour l’image future de Wuhan renouvelée, les valeurs de la société chinoise, et les avantages de la construction des projets urbains et des lignes de métro.
Entraînant son lot de mobilité, d’imprévisibilité mais aussi parfois d’opportunité, avec la valse des emplacements commerciaux et des résidences détruites et construites ailleurs, cet urbanisme de « transition » fragmente les tissus urbains, entre ceux délaissés, ceux en chantier, et ceux bénéficiant d’un aménagement de très grande qualité.
La personne, tantôt usager, consommateur, résidant ou travaillant, arbitre alors avec son réseau de parcours les différents effets de cet aménagement urbain, en profitant tantôt des espaces anciens, tantôt des espaces nouveaux et en s’accommodant comme elle peut des changements en cours….Qu’importe finalement de marcher au milieu des gravats, que l’arrêt et les lignes de bus changent continuellement, que la route étouffe sous les embouteillages, si tout le monde participe de cette promesse d’un avenir meilleur !