Au Chili et au Kazakhstan, la France tente d’exporter ses compétences via un « simulateur de ville »
Les urbanistes étudient-ils les sites sur lesquels ils vont intervenir ? Il faut espérer que oui. Disposent-ils pour orienter les choix politiques et sociaux d’une municipalité de toutes les données nécessaires à l’analyse de villes déjà construites ? Savent-ils combien de bâtiments existent, quelle est la densité de la population, où sont les écoles, quelle distance sépare les stations de métro, combien de carrefours permettent de réguler la circulation, quel est le pourcentage d’espaces verts, la longueur des rues ? Où sont les réseaux d’eau, les conduites de gaz, quel est le revenu moyen de la population et qui a accès à un téléphone portable ? Rarement. Car ces informations appartiennent à des administrations qui n’ont ni toujours besoin ni souvent envie de les partager.
Depuis près d’un an, deux groupements d’entreprises françaises travaillent à la fabrication d’un « simulateur de ville durable ». Une sorte de grand mixeur capable d’absorber toutes ces données jamais quantifiées, ni donc utilisées, d’en tirer de nouveaux indicateurs, et de les représenter par une maquette virtuelle. Le premier, mené par Artelia et Veolia avec Siradel, a choisi la capitale chilienne comme terrain d’expérimentation grandeur nature. Le second, mené par Eiffage, Egis et GDF Suez, travaille sur la ville d’Astana au Kazakhstan, avec Enodo aux commandes numériques. La maquette de Santiago n’est pas achevée, mais il sera bientôt possible, d’un clic, de voir s’afficher sur un écran, sous forme d’histogrammes ou d’aplats de couleur et avec une grande précision, toutes les facettes de la ville.
L’intention est louable de passer d’intuitions plus ou moins vérifiées à des certitudes. Mais l’urbanisme n’est pas une science exacte et la reproduction de modèles peut, dans des cultures, des géographies et des contextes différents, mener à des catastrophes, qui pourraient marquer le territoire pour des décennies.
« Le premier résultat de notre travail est sans doute de faire communiquer des gens qui ne se parlent jamais et gèrent pourtant la même collectivité », explique Antonio Frausto, le responsable du projet pour Arte Charpentier, l’une des deux agences d’architecture retenues pour le projet de Santiago. La ville souhaite couvrir le tronçon de l’autoroute panaméricaine, qui la coupe en deux, et relier des quartiers historiques séparés depuis des décennies. « Le simulateur n’invente pas le programme et ne fabrique pas le projet, c’est une boîte à outils très précieuse pour nous aider à mieux le définir, poursuit-il. Le croisement de données aboutit parfois à des indicateurs auxquels nous n’aurions pas pensé et qui peuvent orienter des décisions politiques. » « Nos idées, comme celles de la ville, ne doivent pas être trop influencées par les informations que nous récoltons, mais cette connaissance améliorée du territoire sous tous ces aspects rend peut-être nos choix plus légitimes », poursuit Mariano Efron, qui suit le projet pour Architecture Studio.
Au Chili comme au Kazakhstan, l’idée est d’aboutir à un projet de ville durable, même si ce concept ne répond pas à une définition précise. « Nous avons travaillé sur 11 « clefs » recouvrant des indicateurs beaucoup plus nombreux sur lesquels tout le monde s’accorde : la densité, la connectivité, la mobilité…, explique Antonio Frausto. Le simulateur devrait permettre d’en ajouter quelques autres. » Le grouvernement français finance les groupements à hauteur de 2 millions d’euros via le Fonds d’étude et d’aide au secteur privé (Fasep). Des opérations tout bénéfice pour Santiago, qui veut réaménager son coeur de ville, et Astana, qui accueillera l’Exposition universelle de 2017. Côté français, l’objectif est clair : mettre en avant l’offre nationale de développement urbain durable, censément excellente. « Le savoir-faire des entreprises françaises est reconnu dans tous les secteurs, que ce soit l’urbanisme, l’architecture, l’ingénierie, la gestion de l’eau, des déchets, la mobilité urbaine… Mais on nous reproche de ne pas avoir une offre groupée », regrettait Nicole Bricq, lorsque, ministre du Commerce extérieur, elle détaillait l’appel à projets lancé en juillet 2013.
Comme dans d’autres pays réputés plus offensifs sur le terrain de l’export, les industriels, ingénieurs, architectes, grands groupes, entreprises de taille intermédiaire et PME sont invités à se fédérer pour proposer une offre globale et intégrée. Les deux maquettes virtuelles devraient être achevées et dévoilées au mois de mars.
Par Catherine Sabbah